A la fin du travail que j’ai mené avec l’ensemble vocal Koriolis (Gand), au printemps 2013, une des choristes me disait combien elle avait été gênée par le fait que je ne leur avais pas donné, dès le début de notre travail – au contraire de leur chef permanent – d’indications précises sur le résultat final à obtenir.
C’est vrai, je ne commence jamais le travail avec des directives précises. Je cherche avec les chanteurs et nous construisons donc ensemble, progressivement, le résultat musical. Les indications que je leur donne sont comme des guides, des balises, pour inscrire une trace, au plus juste. Elles ne forment jamais la représentation d’un résultat attendu (lequel d’ailleurs ? le mien a priori ?), ni l’indication formatée d’une idée préconçue que j’aurais de ce résultat. Je suis bien plutôt attentif à l’exigence d’expressivité, à la liberté du souffle, au mouvement… Le chemin plutôt que le but, les jalons plutôt que la destination qui, elle, reste à découvrir, derrière la crête, au-delà de la porte qui s’ouvre sur un pays nouveau, inconnu, inaperçu encore.
Je suis intimement convaincu que cette élaboration partagée est infiniment plus riche, née de la pratique, donc d’une découverte progressive de l’inattendu.
Comme en écho, je trouve aujourd’hui chez Adam PHILLIPS1 la citation suivante, extraite d’un entretien donné par Francis Bacon.
Pendant que vous travaillez d’une certaine manière, vous essayez d’aller plus loin dans cette direction, et vous y parvenez quand vous avez détruit l’image que vous aviez formée – une image que vous ne récupérez jamais. C’est aussi le cas quand quelque chose d’inattendu se produit d’un coup : ça vient sans prévenir (…). Le plus surprenant, c’est que ce quelque chose survenu presque malgré soi est parfois mieux que ce que vous étiez en train de faire.
Et encore, dans le dernier ouvrage de Max DORRA (merveilleux penseur !)2, cette citation de Sartre (in Lettres au Castor):
(…) Cherchez à acquérir des idées autrement, sans raisonnement. Vous verrez, elles viennent toutes seules, on considère une image dans sa pensée, on sent tout d’un coup un gonflement, comme une bulle, une espèce de direction aussi vous est indiquée, presque tout le travail est fait, on n’a plus qu’à expliciter. Mais pour les trouver, il faut renoncer à la logique, qui est un artifice qui éloigne du vrai.