A l’origine, au début de la pratique, dans la plupart des cas, il n’y a pas de projet. Il y a l’occasion, la rencontre, le petit déclic qui vous poussent sur une voie plutôt que sur une autre, le choix d’une des nombreuses potentialités de la vie, que l’on exerce sans savoir, avant de réaliser qu’un autre choix eut été possible. Il n’y a donc pas de projet. Ce qui n’exclut pas qu’il y ait, dans la perspective qui s’ouvre, de l’espoir.
L’espoir est comme ces chemins sur la terre : à l’origine il y avait pas de chemins; mais là où les gens passent sans cesse, un chemin naît. [Lu Xun, cité par Simon LEYS, Écrits sur la Chine, p. 720]
Le chemin, que l’on va tracer en le parcourant, se substitue au projet, il devient lui-même un projet. Guillevic a écrit : Il n’y a pas de chemin / Pour mener au chemin / Que l’on n’aurait qu’à suivre. Et Machado, dans ce célèbre poème : Caminante, no hay camino, se hace camino al andar.
Le chemin devient donc ce projet, le projet se construit peu à peu et se confond avec le chemin parcouru. Pourtant, un vrai projet prend forme, parfois en peu de temps, parfois après de longues années de pratique. Je sais que mon projet de direction de chœur, ma vision, tels qu’ils peuvent exister aujourd’hui et que je sois en mesure de les transmettre, ont mis plus de 10 ans avant de prendre une forme pérenne, complète.
Le projet est solitaire, comme le chemin, où l’on avance seul parce que la trace est étroite. Mais un projet de pratique artistique amateur construit du collectif. Et c’est dans cette mesure qu’il m’intéresse. Le point majeur, c’est bien l’incroyable conjonction, la secrète rencontre entre ce qui est le plus personnel, le plus intime, le plus privé, et le commun, le collectif.
Un chemin, peut-être, où l’on serait définitivement seul, sans masque. Et où l’on retrouverait tous les autres, comme l’écrit Max DORRA (Primo Levi et le sequoia, p. 40).
Le projet reste solitaire et hasardeux. Jean SUR (Marché de Résurgences, février 2008), évoque Jean XXIII, au moment où il a lancé le Concile Vatican II : Il disait qu’il faisait comme Abraham, qu’il mettait un pas devant l’autre dans la nuit. Je pense peu souvent à Abraham mais, pour vivre, je mets moi aussi un pas devant l’autre dans la nuit ; et elle est parfois bien noire, la nuit. Qui fait autrement, au moins pour ce qui compte vraiment ?
Voir aussi: Chaque chemin est un chant