La confiance

C'est Isabelle STENGERS [La sorcellerie capitaliste, p.159] qui propose d'opérer une distinction entre "avoir confiance" - qui est de l'ordre de l'enthousiasme fusionnel - et "faire confiance", non en l'autre mais dans la relation possible. Cette différence me paraît intéressante à développer dans les relations à l'autre (dans la diversité), dans la mise en commun, ou en responsabilité partagée, en économie solidaire mais aussi dans le travail musical

Dans notre pratique amateur collective, nous sommes sans cesse sollicités pour renouveler cette confiance, qui crée la possibilité de l'accord- musical et humain, dans une pratique qui nous voit émotionnellement particulièrement exposés.

Choeur

Vos is main solo antkegn aiere corn  
Qu’est mon solo face à votre chœur

Kalikes, poésie de Itzik Manger, citée par Erri DE LUCA, Tu, mio

Et, pour illustrer ce vers, une rencontre qui évacue tout commentaire…Des musiciens du monde entier jouent – ensemble, grâce à la technique d’enregistrement coordonné, ce magnifique Stand By Me. Regardez, écoutez, c’est superbe ! [merci à Isa qui m’a transmis le lien … with love]

La ressemblance

Ramuz écrit: Je vais de partout vers la ressemblance, c’est l’Identité qui est Dieu.

Cette citation me sollicite et m’intrigue; je voudrais en creuser le sens. Comment la comprendre ? comme la profession de foi de l’artiste ? Celui qui s’approche, qui « va vers… », de partout, de tous ses sens, de tous les points du monde qui éveillent sa curiosité, … mais qui jamais n’atteint l’Identité. Sa recherche, sa quête ne sont sans doute pas dans cette Identité inaccessible. L’Identité serait-elle solitaire ? Un proverbe turc rappelle que la solitude sied à Dieu seul. La ressemblance, ce serait aussi la perfection de l’échange, de la rencontre, de la relation ? qui respecte l’irréductible altérité mais trace l’horizon de la reconnaissance.

La confrontation créative

Dans la pratique collective, il me semble important de ne pas évacuer – au nom d’une rencontre idéalisée, fusionnelle – la dimension de la confrontation.

La sonorité de l’ensemble se déploie dans la mesure où chacun y joue un rôle déterminant. Il est donc indispensable que les « egos » soient assez forts, individualisés, identifiés, pour que la rencontre ait lieu, sous cette forme qu’on appellera la « confrontation créative ». Il peut sembler paradoxal que la plus belle des cohérences naisse de la plus stricte individualisation. Et pourtant, quiconque pratique la musique le sait: le mariage des timbres comme la collaboration des personnalités créent la sonorité unique de l’ensemble.
 Il est clair alors que la musique naît d’une interaction et qu’elle n’est donc jamais un phénomène de reproduction, même à un très haut niveau de qualité. Le travail de la répétition est concentré sur cette interaction. Répéter pour tenter de reproduire un modèle idéal n’aurait aucun sens.

Entre les musiciens chanteurs, amateurs ou professionnels – cette distinction est encore moins pertinente ici que nulle part ailleurs, ce qui compte le plus est bien la capacité de coopération, entendue comme une confrontation ludique et féconde, tant en termes de compétence que de volonté.

[Je vous invite à découvrir l’article intéressant publié par Rue89, consacré au Trip to Asia de l’Orchestre philharmonique de Berlin. On y évoque notamment cette question de la confrontation: Le son de l’orchestre émane de la friction entre des personnalités très variées dans un espace très restreint.]