Nier la pesanteur

Si les oiseaux ne chantaient pas, nous ne chanterions pas nous non plus. Notre chant vient de loin, du gosier strié des reptiles, des joues flasques des batraciens. Ultime cri des mots pour dire que nous sommes. Le chant nie la pesanteur des corps (c’est pourquoi on dit qu’il s’ élève) comme les mots nient la pesanteur des choses. Quand j’écris terre, ce mot ne pèse rien, presque rien sur la page. Et quand j’écris soleil, j’échange des myriades de tonnes contre deux syllabes sans poids. Ainsi du chant qui mue le corps en souffle, la chair en air. Non, notre chant à nous ne dit pas : nous sommes. Il dit: nous sommes autres.

Jacques LACARRIERE, Sourates, p. 89

Cette évocation de la légèreté me rappelle d’insérer ici une mention de la Première leçon que Italo CALVINO aurait dû donner à Harvard, et qui est publiée avec 4 autres sous le titre des Leçons américaines [Aide-mémoire pour le prochain millénaire]. Les 5 Leçons – Légèreté, Rapidité, Exactitude, Visibilité, Multiplicité –  sont toutes admirables.

Dans la Première leçon [Légèreté], j’ai noté:

Si je voulais choisir un symbole votif pour saluer le nouveau millénaire, je choisirais celui-ci: le bond agile et imprévu du poète-philosophe [Cavalcanti] qui prend appui sur la pesanteur du monde, démontrant que sa gravité détient le secret de la légèreté – alors que ce qui passe aux yeux de beaucoup pour la vitalité d’une époque bruyante, agressive, piaffante et vrombissante appartient aussi sûrement au règne de la mort qu’un cimetière d’automobiles rouillées.

Le lyrisme

Je découvre avec plaisir ces quelques lignes, qui tentent une définition du lyrisme, appliqué à l’écriture romanesque ou à l’écriture théâtrale, mais que je trouve tout à fait pertinente pour approfondir notre réflexion sur cette « voix lyrique » que je demande aux chanteurs de travailler.  Quelle coïncidence,  mais pas étonnante finalement, d’y trouver des références au souffle et à la voix.

Le lyrisme.
Non pas les épanchement sirupeux du moi, mais ce composé d’éléments divers qui permet d’identifier une forme sans constituer pour autant un concept, et qui comprendrait entre autres et sans hiérarchie: la mise en scène de l’émotion (le texte lyrique est un texte ému, un texte qui transporte); la prédominance de la voix (l’oralité, la mise en bouche de la langue, la présence du corps pulsionnel; mais aussi la langue orale, familière; mais aussi l’oratoire, le déploiement de la voix dans la durée, et donc le souffle); la célébration admirative; l’organisation du temps par un rythme sensible (et donc la scansion par reprises: litanies, anaphores, ressassements, condensés métaphoriques récurrents). (…)

[Jean-Paul Goux, in Revue L’Animal, n°16 – printemps 2004, consacré à François Bon, p.167]

J-P.Goux ajoute plus loin une citation de Rilke: Le lyrisme tend à « la transmutation intégrale du monde en splendeur ».

C’est exactement ça… Beau programme pour une pratique musicale, non ?

Bavure

Vu sur CNN (ou BBC ?) – en décembre 2005.

A la Nouvelle-Orléans, un homme a été tué par des policiers.

Sur une vidéo d’amateur, on le voit mis en joue par une douzaine de personnes. Un voisin raconte : il était connu dans le quartier pour être bizarre mais pas dangereux.

Il aurait menacé les policiers avec un petit couteau (sic).

Fin du reportage. Interview du porte-parole de la police, qui explique: Les policiers étaient en état de légitime défense (! ?). Ils lui ont demandé de jeter son couteau, il n’aurait pas voulu. On lui a envoyé alors des gaz lacrymogènes, mais sans aucun succès.

Finalement, il s’est mis à chanter d’une façon bizarre – et on a dû l’abattre !

Le journaliste parlait de « bavure ».