Ce sont les sens qui rendent heureux, et non l’esprit spéculatif. Voilà les fondements de la culture.
Jean Giono, Les terrasses de l’île d’Elbe
Ce sont les sens qui rendent heureux, et non l’esprit spéculatif. Voilà les fondements de la culture.
Jean Giono, Les terrasses de l’île d’Elbe
Ce que les pédants nomment caprice, les imbéciles déraison, les ignorants hallucination, ce qui s’appelait jadis fureur sacrée, ce qui s’appelle aujourd’hui, selon que c’est l’un ou l’autre versant du rêve, mélancolie ou fantaisie, cet état singulier de l’esprit qui, persistant chez tous les poètes, a maintenu, comme des réalités, des abstractions symboliques, la lyre, la muse, le trépied, sans cesse invoquées ou évoquées, cette ouverture étrange aux souffles inconnus, est nécessaire à la vie profonde de l’art.
L’art respire volontiers l’air irrespirable. Supprimer cela, c’est fermer la communication avec l’infini. La pensée du poète doit être de plain-pied avec l’horizon extra-humain.
(…)
Donc songez, poëtes ; songez, artistes ; songez philosophes ; penseurs, soyez rêveurs. Rêverie, c’est fécondation. L’inhérence du rêve à l’homme explique tout un côté de l’histoire et crée tout un côté de l’art. (…) Seulement n’oubliez pas ceci : il faut que le songeur soit plus fort que le songe. Autrement danger. Tout rêve est une lutte. Le possible n’aborde pas le réel sans on ne sait quelle mystérieuse colère. Un cerveau peut être rongé par une chimère.
Vient un moment où la beauté, toute beauté (celle du monde, celle des êtres, celle des œuvres) nous éprouve parce qu’elle nous renvoie, violemment, à notre essentielle insuffisance.
François DEBLUË, in Conférence n°28, p.121
Je n’hésite pas à citer intégralement cette page de Claude LOUIS-COMBET, tirée d’un article majeur, intitulé Comme pour tenter de dire l’être-en-suspens, publié par la revue Conférence [n°30-31, 2010]. J’y ai lu l’expérience qui fonde une vie entière, le sentiment de la beauté du monde et le goût pour toutes les manifestations foudroyantes d’émotion de l’art et de la nature. Je m’y retrouve complètement, dans l’illimitation de la surprise, de la reconnaissance et de la soumission.
De la vastitude du sentiment océanique de la beauté du monde – aurore et crépuscule, paysages des lointains, déchaînements météorologiques – se dégagea, comme une création du coeur et de l’esprit, le goût majeur, appelé à devenir essentielle passion, pour les formes de l’art. Des couleurs, des reliefs, des rythmes, des figurations, des matières, des assonances et des dissonances, composés à l’infini, dans l’inépuisable variété des genres et des styles, emplissaient le champ toujours ouvert et toujours neuf de l’admiration et quelquefois, avec une fulgurance proche de l’émotion d’amour, dispensaient des instants de pur ravissement. Alors, dans la présence aspirante et fascinante d’une peinture ou dans le vertige d’un moment musical, la conscience du temps retient son souffle, elle se laisse envahir et déborder, la présence à soi est suspendue, possédée, dans l’intime et jusqu’au plus infime, par cette Présence, d’un autre ordre, de beauté et de forme, dont les limites mêmes, d’espace ou de temps, s’abolissent, un instant, dans l’illimitation de la surprise, de la reconnaissance et de la soumission. Pour ceux que l’extase, au sens mystique du terme, n’aura jamais visités, l’expérience esthétique révèlera, mais au plus haut de sa rareté, ce qui s’en approche le plus. Elle pourra, dans toute la longueur du temps retrouvé, accorder, ne serait-ce que par le souvenir d’émotions anciennes, restées uniques dans l’existence, sa manière de lumière intérieure, à peu près suffisante pour que, même privée de sens, la vie continue de se garder en son attente.