Parler aux animaux

Les animaux parlent presque continuellement entre eux (…), ils nous parlent fréquemment, aussi, mais nous ne comprenons pas qu’ils s’adressent à nous. Les animaux se tournent vers nous au loin, dissimulés dans le feuillage au-dessus de nos têtes, venant des fourrés en bordure du chemin, ils posent des questions, ils nous grondent, ou ils nous font savoir: « Je t’ai vu ». Mais pour qu’un homme puisse se trouver en présence de certains animaux ou pour les découvrir, il faut savoir se taire. Pour pouvoir se trouver en face d’eux, de ceux qui parlent, il est une chose qu’il ne faut surtout pas faire, parler avec eux.

Marcel Beyer, Kaltenburg, p. 44

L’âme

Je me représente l’âme humaine sous deux formes: ma première image de l’âme est un petit pain oblong que j’ai mangé un jour à Tübingen. En Souabe, cette sorte de petit pain est appelé Seele, « âme », et beaucoup de gens ont une âme de cette forme. Mais cela ne veut pas dire que l’âme soit placée dans leur corps comme l’un de ces petits pains. L’âme est plutôt, dans le corps, un trou qu’il faut toujours remplir avec le petit pain ayant la même forme ou avec un embryon, ou bien avec la vapeur de l’amour. Sans quoi les porteurs d’âme ont  l’impression qu’il leur manque quelque chose.

Ma deuxième image est celle d’un poisson. Le mot See-le indique que l’âme a un rapport avec un lac, See, et en tout cas avec l’eau. Cela évoque l’âme d’un chaman. Chez les Toungouzes par exemple, on dit que l’âme d’un candidat chaman descend le cours d’eau de la tribu jusqu’à la région où habitent les esprits des anciens chamans. Là, à la racine de l’arbre des chamans de la tribu, se trouve un animal, la mère des chamans, elle dévore l’âme qui arrive puis la remet au monde sous forme animale. L’animal peut être un quadrupède, il peut être un oiseau ou un poisson; quoi qu’il en soit, cet animal joue le rôle de double et d’esprit protecteur du chaman.

Yoko TAWADA, Narrateurs sans âmes, p. 17

Les camps

En 2012, premier voyage en solitaire vers l’est de l’Allemagne : j’en ai dit un mot. C’était la première fois que je prenais cette route que j’ai parcourue ensuite avec bonheur chaque année. Anvers, Eindhoven, Venlo, le passage encombré de la Ruhr, ensuite se laisser filer sur une route de crête vers Kassel, puis le détour par Göttingen. En 2012, je suis allé jusqu’à Torgau, puis retour par Leipzig, Naumburg et Weimar, Erfurt, Eisenach, … Cette année-là, j’ai gravi l’Ettersberg pour me rendre à Buchenwald. C’était un lundi, je m’en souviens parfaitement, le musée était fermé mais le camp était accessible au visiteur. Le choc fut immédiat et inoubliable : l’entrée passée, un panorama extraordinaire se déploie sous mes yeux, le plus beau paysage du monde, de champs, de prés, de forêts qui dévalent la colline et déroulent infiniment jusqu’à l’horizon embrumé une campagne magnifique. Comment concilier le souvenir de l’humiliation, de la torture et la mort avec un espace aussi splendide ? Je suis broyé par l’émotion.

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Dresde – Albertinum

Unter italischen Himmeln

Dresde, mai 2017. Comme chaque année, je passe quelques heures dans les musées de la ville. A l'Albertinum [Galerie Neue Meister], une très belle exposition est consacrée aux artistes qui ont visité et peint l'Italie du 19e siècle: Unter italischen Himmeln. A nouveau, comme dans certain tableau vu au musée d'Edimbourg, je suis frappé par la beauté de la lumière et la douceur qui émane des paysages. Je prends quelques photos, pour tenter d'en sauvegarder la trace.