Au Florilège vocal de Tours, 2010.
Nous sommes quelques amis, nous descendons du Nord pour le rendez-vous annuel du Florilège. Nous y venons depuis quelques années déjà. Et nous y avons entendu des prestations jubilatoires, étonnantes, magnifiques, émouvantes. Ce vendredi 28 mai 2010, en fin d'après-midi, nous voilà dans la salle du théâtre de Tours. Assis au premier rang, tout au bord de la scène, en prise directe avec le choeur, nous écoutons quelques prestations qui nous déçoivent un peu. Et puis arrive l'ensemble KUP Taldea (de Tolosa, au pays basque espagnol), dirigé par Gabriel Baltes. En un instant, l'émotion est extraordinaire: nous sommes entrés brusquement dans une autre dimension, la musique vient d'apparaître, le concours a commencé ! Tout de suite après, les questions se bousculent: d'où vient la différence ? le souffle ? le geste libre, la posture des chanteurs ? leur concentration ? leur capacité à être ancrés, centrés sur la musique et sur eux-mêmes, dans la jubilation partagée d'être des chanteurs, des musiciens véritables, au plus profond de la compréhension musicale ? Quel est le ressort caché de ce miracle, qui nous laisse émerveillés ? Bien sûr, il y a des critères objectifs: l'émotion seule ne décide pas tout, et certainement pas de l'avis du jury qui, 48 heures plus tard, attribuera le Grand prix de la ville de Tours à l'ensemble KUP Taldea. Il y a la qualité des voix, la souplesse et la virtuosité, la capacité à mobiliser les énergies dans un ensemble, dans une communauté, la vision interprétative du chef, qu'il fait partager, et qui nous rend cette musique si proche, si évidente. Mais la recherche qui fait l'objet de tout mon parcours de chanteur, de chef de choeur, de formateur est ici illustrée avec une totale évidence: comment comprendre, éclairer, formuler et transmettre ce qui se passe dans la relation (mystérieuse, vraiment ?) entre la subjectivité la plus intime, la plus profonde (celle qui se manifeste dans le chant individuel, par la voix, par l'expression d'une musicalité singulière) et ce qui est de l'ordre du collectif, de la communauté - tant à l'intérieur d'un ensemble, dans la capacité à être en connivence musicale, dans la capacité d'écoute et d'empathie, qu'avec un auditoire, avec un public ?
Une phrase - que je cite par ailleurs (La rencontre), me revient: "Le plus juste", ce serait quelque chose comme l'équilibre entre la plus authentique expérience et son expression la mieux accomplie.
Où il est bien question de la "justesse", non pas au sens de l'intonation, mais de ce qui est juste, adéquat, en précise cohérence, ... Nous avons fait l'authentique expérience de la justesse. Dans cette expérience, le corps est convoqué - par la vibration, par la vue et par l'ouïe, ... - mais aussi l'esprit et les affects. Ce qui vient alors en avant-scène, c'est à proprement parler la reconnaissance, dans les deux sens du terme: reconnaissance, comme la gratitude de pouvoir entendre quelque chose que je pense "reconnaître", comme un événement qui m'est d'une très grande et parfaite proximité.
Si j'ai voulu noter ici les conditions de cette expérience, c'est parce que, en plus de 40 ans de pratique musicale, je n'ai pratiquement jamais entendu quelque chose qui soit aussi proche de ce que je pense rechercher depuis si longtemps. C'était exceptionnel.
Mais, tout bien pesé, je veux aller plus loin: j'irai écouter KUP Taldea travailler. Parce qu'au delà de l'expérience personnelle, de l'émotion que la rencontre et la proximité génèrent, il faut poursuivre la recherche, dans la reconnaissance de la distance, de l'altérité, qui sont les conditions mêmes de notre expérience. C'est parce qu'il y a de l'autre que la rencontre est possible. C'est parce que nous ne comprendrons jamais tout à fait ce qui s'y passe que ces instants de grâce ont quelque chance de se reproduire.