Angoulême

La gare d’Angoulême n’a vraiment rien de remarquable. J’y passe, je m’y arrête quelquefois. J’aime me rendre à Angoulême, au moins pour le temps que je prends, quand c’est possible, à déambuler une heure ou deux dans la vieille ville, haut perchée, dans le soir tombant. J’ai des souvenirs d’arrière-saison, froide et ensoleillée, dans des rues tranquilles: rares passants, quelques voitures, échanges de paroles qui résonnent entre les murs des vieux immeubles. Un matin, cependant, très tôt, avant d’embarquer dans le petit train régional qui devait me conduire vers ma destination finale, je marque le pas devant une stèle dressée à proximité immédiate de la gare. Ce n’est pas un monument ancien, la pierre est brillante encore, la gravure du texte commémoratif porte un or tout neuf1. C’est un granit rose, fiché dans une dalle de béton, au bord de la rue qui monte vers la ville. Je pense d’abord que le monument n’était pas là, la dernière fois. Plus probablement, j’étais passé devant sans le remarquer, sans y prêter plus d’attention, pensant que c’était le traditionnel appel au souvenir des cheminots tombés pendant la guerre. Mais un détail attire mon attention: les trois bandes, rouge, jaune et bleue, d’un drapeau inconnu. Je m’arrête et je peux lire alors, pour la première fois, avec un sentiment mêlé de surprise et d’effroi, cette épigraphe en français et en espagnol: Le 20 août 1940, le premier train de la déportation de la seconde guerre mondiale est parti de cette gare d’Angoulême vers le camp d’extermination de Mauthausen avec 927 républicains espagnols. La plupart seront exterminés, véritable crime contre l’humanité. N’oublions pas.

Je prends rapidement une photo. Je ne comprends pas: qui a provoqué cette déportation ? Les troupes allemandes étaient-elles déjà ici, en août 1940, soit quelques semaines seulement après le début de l’offensive ? Et quelle est cette étrange et indécente tournure : Le premier train est parti, avec 927 républicains, comme si le train s’en était allé, tout seul, vers sa sinistre destination ? Étrange façon de dire, sans le reconnaître, que ce sont bien les autorités françaises qui ont livré aux nazis, à peine arrivés en Charente, ces hommes et ces femmes exilés. Soudain, je m’avise qu’il fait nuit encore, j’ai froid, les eaux de la Charente sont noires. Je ne sais rien d’Angoulême.

  1. En effet, la stèle a été érigée en 2008.