Le ricochet laisse sous lui et à d’autres la profondeur, il l’effleure avant d’y être englouti. La surface est la peau de la profondeur. Ainsi est la mémoire: profondeur de citerne, en nous, dont nous ne connaissons que la surface, où les bulles remontent. Le souvenir est toujours une émission de surface: bulle qui y éclate ou pierre que nous y jetons et qui ricoche. Le profondeur est l’oubli, où sont conservés les souvenirs. La mémoire est l’oubli, sauf quand on se souvient, et dans le souvenir, souvent, ce n’est pas nous qui jetons la pierre, elle est envoyée par une impression jusqu’à la surface qui s’en émeut, laissant alors venir ce qui était englouti. Le souvenir lui-même ricoche, appelle d’autres souvenirs, la phrase du souvenir procède par rebonds, elle s’écrit comme la phrase du langage où les mots en appelle d’autres. Écrire ou parler, c’est d’ailleurs se souvenir du langage, c’est tirer les mots de l’oubli ou de la mémoire, termes qui sont ici absolument synonymes. Et c’est pourquoi affectivement la trouvaille du mot juste est reçue comme l’est le souvenir oublié depuis longtemps.
Jean-Christophe BAILLY, Le propre du langage, p. 174