SHOAH, film de Claude Lanzmann, 1974/1985, 9h30′
NUIT ET BROUILLARD, film d’Alain Resnais, 1954/1956, 32′
LE VOYAGE DE PRIMO LEVI (La strada di Levi), film de Davide Ferrario, 2006/2008, 1h32′
WELCOME, film de Philippe Lioret, 2008/2009, 1h50′
Pour nous aussi, citoyens du nouveau siècle, la trêve est finie. On ne sait pas ce qui nous attend mais on peut parfois voir le futur à travers les questions que le passé a laissées sans réponse.
(Introduction du Voyage de Primo Levi).
À l’occasion de la sortie du nouveau livre de Claude LANZMANN [Le lièvre de Patagonie], j’ai choisi de revoir1 le film qu’il avait réalisé dans les années 70: Shoah. Et dans ces dernières semaines du mois d’avril 2009, j’ai vu trois autres films dont le lien avec la mémoire m’est tout à fait évident. Même si les quatre films sont totalement différents.
SHOAH2
En trois soirées, j’ai vu la totalité de Shoah. J’étais captivé. Non pas véritablement horrifié, parce que je m’attendais à ce que j’allais voir, mais captivé par cette science de l’inéluctable, cette fascination de la machine réglée parfaitement, dont l’organisation dans la performance était absolument extraordinaire. Dans cette organisation, tous les rouages sont parfaitement huilés. Il n’y a que de très rares échappatoires. Les victimes elles-mêmes sont fascinées par le mouvement irrésistible de cette mécanique. Ceux qui en sont sortis n’ont pu le faire que parce qu’ils ont réussi à échapper à cette fascination. Il suffit de voir comment les déportés eux-mêmes sont enrôlés dans le processus de leur propre extermination: ils sont forcés de payer eux-mêmes les convois avec les biens dont on les a spoliés, ils construisent eux-mêmes les crématoires et les baraquements, les infrastructures qui serviront à anéantir leur propre famille.
NUIT ET BROUILLARD, le film d’Alain Resnais, que j’ai vu après avoir regardé Shoah.
Sa force réside principalement dans les documents d’archives, dans les photos terribles des corps suppliciés, les cadavres amoncelés,… Vues de l’horreur, mais vues documentaires, objectives, dont la froideur même est terrifiante.
LE VOYAGE DE PRIMO LEVI
C’est un film beaucoup plus récent. Il s’appuie sur le récit de Primo Levi lui-même, publié sous le titre de La trêve, qui relate le long voyage de huit mois entre Auschwitz et Turin que Levi effectua pour rentrer chez lui en 1945, entre le 27 janvier et le mois d’août 1945. Il offre un étonnant mélange entre le texte qui relate les péripéties de ce long retour en 1945 et les aventures de l’équipe de tournage qui, 60 ans plus tard, va passer de Pologne en Russie, en Ukraine, en Biélorussie, en Moldavie, puis en Hongrie, en Autriche, en Allemagne pour rejoindre enfin l’Italie, suivant pas à pas l’itinéraire de Levi.
WELCOME
Le film de Lioret a-t-il sa place au côté des trois autres ? Je le pense. Pour ne pas oublier les gens, les migrants qui se trouvent aux portes de l’Angleterre, à quelques kilomètres seulement du but qu’ils se sont fixé, arrêtés par la voie d’eau quasi infranchissable, tant à cause des mesures policières que de l’obstacle naturel. La différence fondamentale entre ce qui se passe aujourd’hui et ce que l’histoire nous rapporte du traitement des juifs, les tziganes, les homosexuels, des opposants,… c’est que nous vivons à l’ère de la communication, cette grande pute de la communication comme l’appelle Jean Sur. Les rafles, les bastonnades, l’enfermement dans des camps de rétention,… ont moins pour objet de décourager l’immigration irrégulière que d’en assurer la médiatisation, de diffuser des messages vers le grand public. Jusqu’au jour où ce public sera mûr pour accepter l’inacceptable.
- de voir pour la première fois sans doute
- Shoah est intégralement disponible sur Universciné.