Le discours de l’historien reconduit les morts, les ensevelit. Il est déposition. Il en fait des séparés. Il les honore d’un rituel qui leur manque. Il les pleure. Car toute quête historique cherche à calmer les morts qui hantent encore le présent et à leur offrir des tombeaux scripturaires. L’histoire est aussi une des modalités du travail de deuil, tentant d’opérer — avec bien des difficultés de tous ordres — l’indispensable séparation des vivants et des morts.
Annette WIEVIORKA, Auschwitz 60 ans après , pp.280-281
Ce travail du deuil, Daniel Mendelsohn le fait tout au long de sa longue quête, celle qu’il relate dans ce magnifique récit intitulé Les disparus. La lecture en est captivante, parce qu’il s’agit d’une enquête – donc déjà d’une quête, pour retrouver le témoignage de la disparition de membres de sa famille dans cette petite ville entre Pologne et Ukraine, Bolechow/Bolekhiv. Mendelsohn touche à l’aboutissement de sa recherche quand il pénètre, pour quelques instants, dans la minuscule cache obscure, froide et humide, qui a abrité son grand-oncle et sa tante pendant quelques mois avant qu’ils soient dénoncés et exécutés. A l’instar de Claude Lanzmann arrivant dans la gare de Treblinka un soir d’automne, Mendelsohn s’effondre au moment où il touche à cette réalité – qu’il connaît pourtant depuis de nombreuses années, mais qu’il voit enfin de ses yeux, dont il entend le témoignage précis de la part de personnes qui ont assisté à l’événement. Lanzmann parle de la puissance incroyable de cette incarnation. Dans cette cave, dans le jardin qui fut le théâtre de la fusillade, Mendelsohn touche au plus profond de l’émotion, et peut enfin achever son ouvrage en posant la pierre traditionnelle sur ce tombeau symbolique: le vieux pommier qui est toujours là – arbre de la connaissance.
Lectures captivantes:
Claude LANZMANN, Le lièvre de Patagonie, Gallimard, 2009
Daniel MENDELSOHN, Les disparus, Flammarion, 2006 1
- Voir à son sujet l’article de Ivan Jablonka, Comment raconter la Shoah ? A propos des Disparus de Daniel Mendelsohn, La Vie des Idées, 30 octobre 2007.