Dans l’être de la pluie, ce qui retient, c’est avant tout le changement d’élément, l’eau venant portée par l’air, tombant du ciel comme un don parfois exubérant mais figurant toute manne. C’est aussi la perfection selon laquelle l’Un se divise en gouttes et n’existe que par cette dispersion à la fois régulière et aléatoire, chaque goutte tombant avec toutes les autres et pourtant seule, déviant selon le clinamen puis se perdant dans le final d’une éclaboussure. Ainsi en va-t-il avec le langage, qui ne préexiste pas à la division infinie qui le forme: et si tout entier le langage est une pluie, alors chaque phrasé est une averse – une certaine quantité de sens formé comme une chute vive où chaque goutte distincte forme avec ses compagnes l’unité à recueillir. La plupart du temps, il est vrai, en pure perte, le sens ne formant qu’une vapeur ou une flaque. C’est pourquoi les livres, où le sens (ou du sens, comme on dit de la pluie) est recueilli, sont en quelque façon l’équivalent des bâtons de pluie des Indiens d’Amérique du Sud: faisant réentendre le sens, et priant pour qu’il revienne.
Jean-Christophe Bailly, Le propre du langage, Seuil, p. 161-162