L’écriture naît d’une illusion : illusion que je suis meilleur que moi-même, plus pénétrant, généreux et sensible. Illusion aussi que je suis capable d’écrire. Lorsque cette illusion est maintenue assez longtemps — comme un révélateur qu’on porte à température — elle devient réalité, j’écris et je m’ajuste aux exigences de l’écriture. L’écriture c’est mon théâtre et si je ne sais pas toujours comment la pièce commence, je sais par contre qu’elle finit bien. Chaque fois que je me laisse déranger, c’est comme si on rallumait dans la salle, comme si des spectateurs se levaient et partaient bruyamment avant que la moindre phrase d’un peu de portée et de poids ait été prononcé sur la scène. L’illusion a donc son rôle à jouer dans ma vie : c’est un moteur parmi d’autres, c’est une variété roturière de l’acte de foi dont on ne se sent pas toujours capable. Il y a ainsi des rapports étroits entre l’illusion et l’édification de l’être, ceci permettant souvent cela.
Nicolas Bouvier, Le Vide et le Plein, p.18
Et le même, plus loin [p.120]:
Avez-vous vu un chirurgien mécher une plaie ? des mètres et des mètres de gaze souillée de pus avant d’arriver au sang frais. Il y a de ça dans l’écriture : une litanie qui peu à peu se débarrasse de tout ce qui n’est pas elle, un flot qui graduellement se purifie. accepter l’incohérence et l’hémorragie pour vider son être, le pacifier et entrer dans celui des autres.