Dans un conte chinois très vieux, il y a une maman qui, pour guérir son enfant condamné par les médecins, fait un arrangement avec un diable. Un arrangement très compliqué, avec des déserts, des grillons géants, des villes disparues, tout un périple, mais l’enfant guérit. Et plus tard, au moment des fêtes (des Jours de l’An chinois), la maman se demande quoi donner au diable. Et elle ne trouve rien d’assez beau, mais tout de même elle réunit, avec l’aide des villageois d’alentour, des soies magnifiques, des jades, des coupes sublimes, et la voilà qui descend et qui descend, et qui se trouve devant le diable. Et elle n’ose rien lui présenter parce qu’elle voit bien, arrivée en bas, que tout cela est inutile, que le diable n’en a nul besoin, et au moment de repartir, très discrètement, elle dit: « La prochaine fois, je pourrais peut-être vous apporter quelque chose, si j’y pense, si cela ne vous dérange pas… », et le diable, gentiment, d’une voix bien légère, murmure comme s’il s’oubliait: « Nous manquons de melon ».
Michel Cournot, Le Nouvel Observateur, 3 janvier 1977