C’était là précisément le but que se proposait Nigromontan. Sa méthode ne visait point, comme celle des grandes écoles, à la recherche, mais à la trouvaille. Aussi se distinguait-il par cette sorte d’assurance qu’il avait que chacune de nos démarches, fût-elle apparemment la plus vaine, la plus dépourvue d’intention, est riche d’un fruit particulier, comme la noix de son contenu ; et il demandait qu’avant de s’endormir on ouvrît dans sa mémoire le jour comme un coquillage. De tels exercices étaient destinés à montrer que le monde aussi dans son ensemble est composé à la manière d’une image énigmatique, que ses mystères s’étalent librement à sa surface et qu’il n’est besoin que d’une minime adaptation de l’œil pour contempler dans leur plénitude ses trésors et ses miracles. Il citait volontiers la parole d’Hésiode, qui veut que les dieux cachent aux mortels les nourritures, la fécondité du monde étant telle que le travail d’une seule journée suffit pour assurer toute une année de récoltes. Il suffit aussi d’un instant de méditation pour découvrir la clé qui mène à des trésors où l’on pourrait puiser sa vie durant ; et, pour rendre ceci plus sensible, il évoquait les simples inventions dont plus tard chacun dit qu’un enfant les eût trouvées. Volontiers aussi il nous renvoyait à l’imagination : sa fécondité était un symbole de la fécondité du monde, mais les hommes vivaient comme des créatures mourant de soif au-dessus de sources d’une force inépuisable. Un jour il dit aussi que le monde nous était livré comme les vingt-quatre lettres, et qu’il dépendait de notre écriture qu’il crût et devînt image. Mais il fallait être pour cela vrai créateur, et non point scribe. (…) Comme indices de l’apparition du moment privilégié, il désignait l’étonnement, puis l’allégresse.
Ernst JÜNGER, Le coeur aventureux, p. 141 ss. ‘Les images énigmatiques’, notamment p. 145-146