En 1979, j'ai vu - sur l'écran d'une minuscule télévision Sony en noir et blanc, le film de Jacques Doillon, La drôlesse. J'étais chez mes parents, à Profondeville, quelques semaines avant de partir à Zagreb pour une année d'études. J'ai le souvenir précis de l'émotion qui m'a saisi ce soir-là. Le film était diffusé en toute fin de soirée, la maison était endormie, j'étais seul et je découvrais Doillon dont je ne savais rien. Et je suis resté plus seul encore dans la nuit et bouleversé par la dernière scène du film: On dirait que je suis morte.
Vingt-cinq années plus tard, je tombe sur l'édition du coffret de DVDs consacré aux films de l'enfance: La drôlesse, Ponette, Un sac de billes, La vie de famille (MK2, 2004). Je retrouve La drôlesse. Et l'immense émotion que ce film avait soulevée en moi. Soudain plus forte encore en voyant, dans les bonus du DVD, l'interview de Dominique Besnehard, qui à l'époque - avant de jouer le rôle de l'instituteur - avait été chargé de trouver les interprètes du film. Il raconte la découverte de "Mado", la jeune "drôlesse" , dans une école de village. Il parle de sa famille, de son histoire et puis - à ma grande stupéfaction - de sa mort. Et c'est le choc, de découvrir tout à coup que la réalité a rejoint la fiction: Mado est partie, dans la réalité, comme elle voulait le faire tendrement croire dans l'histoire. Mais elle n'a pas fait "comme si". Elle est morte pour de vrai, bêtement, par manque de soins, d'une leucémie foudroyante. Son absence signe une perte irrémédiable.