Le drame, c’est que l’intrusion de Gaïa survient au moment où jamais la figure de l’humain n’a paru si inadaptée pour la prendre en compte. Alors qu’il faudrait avoir autant de définitions de l’humanité qu’il y a d’appartenances au monde, c’est le moment même où l’on a enfin réussi à universaliser sur toute la surface de la Terre le même humanoïde économisateur et calculateur. Sous le nom de globalisation ou de mondialisation, la culture de cet étrange OGM – de son nom latin Homo œconomicus – s’est répandue partout… Juste au moment où l’on a un cruel besoin d’autres formes d’homodiversité ! Pas de chance vraiment: il faut affronter le monde avec un humain réduit à un tout petit nombre de compétences intellectuelles, doté d’un cerveau capable de faire de simples calculs de capitalisation et de consommation, auquel on attribue un tout petit nombre de désirs et que l’on est enfin parvenu à convaincre de se prendre vraiment pour un individu, au sens atomique du mot. Au moment même où il faudrait refaire de la politique, on n’a plus à notre disposition que les pathétiques ressources du « management » et de la « gouvernance ». Jamais une définition plus provinciale de l’humanité n’a été transformée en un standard universel de comportement. (…)
Bruno LATOUR, Gaïa, figure (enfin profane) de la Nature, 3e des Huit conférences sur le nouveau régime climatique, p. 143