Léger et lourd

Tu t’es allégé ? Peux-tu déjà pénétrer dans le granit, le fer rouge, dans ton propre cadavre ?
Léger et lourd sont, comme l’ombre et la lumière, deux qualités d’un tiers principe inconnu – si nous voulons y entrer, il faut laisser notre corps en gage. (…)

Ernst JÜNGER, Graffiti, p. 78

L’art du tir à l’arc

Par analogie avec le zen japonais,  je note que le travail du chant s’appuie sur les mêmes fondements:  la pratique silencieuse, le soin, l’attention, le calme intérieur, le contrôle du souffle, la posture du corps et celle de l’esprit. Ce qui fonde aussi l’art chevaleresque du tir à l’arc.

Ne pas choisir, mais agir en réponse à la situation exacte, et la situation exacte ne peut être connue que dans un abandon de soi-même. Un bon samu demande d’avoir éliminé le plus gros de tous les germes perturbateurs qui ne cessent de vouloir se manifester dans l’esprit. C’est à dire maintenir l’esprit dans une vacuité foncière, connue par la pratique et la purification du karma, les actes justes et sans restes. Ce n’est pas une discipline compliquée : il s’agit de s’appuyer simplement sur votre véritable état naturel. Cent choses, pourtant, peuvent vous en tenir éloigné à une distance incommensurable. Le désir de trop bien faire, par exemple, vous tiendra aussi éloigné du geste naturel que la négligence. Encore l’ego. Naturellement, ce que l’on ne sait pas faire, on peut rarement le réussir du premier coup. Il faut un long apprentissage, répéter cent fois tous les gestes de la tradition sur le métier.

Antoine MARCEL, Traité de la cabane solitaire, p. 32-33

On consultera avec profit E.HERRIGEL, Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc.

La cabane

Je songe à la cabane au milieu des vignes dont parle le premier chapitre d’Isaïe. On s’y réfugie, on y est bien parce que tout, alentour, est dévasté. Magnifique et dévasté.

Christophe CARRAUD, in Conférence n° 25, p. 163


(…) Je pense que, plus fondamentalement, la cabane a quelque chose à voir avec le corps mobile et itinérant, avec le corps que nous sommes, la maison avec le corps que nous avons. Certes, les deux sont le même corps, mais perçu différemment. L’un de l’intérieur, le « corps propre » ou corps organique (Leib) comme dit Husserl, l’autre, de l’extérieur, corps-objet (Körper), que je puis saisir comme n’importe quel autre objet. Ce corps que j’ai et que je suis à la fois ou que je suis sur le mode de l’avoir est aussi, d’un certain point de vue, une forme d’abri.

Gilles A.TIBERGHIEN, Notes sur la nature, la cabane et quelques autres choses, p. 41

Le Paradis

Christian BOBIN, dans ce livre magnifique consacré à Emily Dickinson (La dame blanche, p. 117), cite la poétesse américaine:

Chacun de nous prend le paradis dans son corps ou l’en retire, car chacun de nous possède le talent de vivre.

Et Anne PERRIER, en exergue de son très beau recueil La voie nomade (La Dogana, 1986), donne aussi la parole à E.Dickinson:

Et pour occupation, ceci:
Ouvrir bien grandes mes étroites mains
Pour ramasser le Paradis.


Christian BOBIN, encore lui, note avec justesse [La dame blanche, p.68]:

Le paradis est l’endroit où nous n’aurons plus besoin d’être rassurés.

Et Roger MUNIER, cité par P.A.Tâche [Carnets 1989-1990, in Conférence n°32, p. 98]:

Le paradis, c’est peut-être de n’être pas, le sachant. Inexprimablement le sachant.