La fraternité

Dans ma vie, je me suis battu pour une égalité, pour une liberté, mais la fraternité ne peut se conquérir. C’est un don, elle vient à l’improviste (…). Elle existe, elle a existé, je l’ai goûtée.

Erri De Luca, Le plus et le moins, p.133

Bel hommage à cette fraternité, si souvent oubliée, laissée pour compte, comme si de facto, elle allait suivre la marche de la liberté et de l’égalité, et qu’il ne fallait donc pas s’en occuper. Dans notre monde en lutte(s), si la fraternité est donnée, je considère qu’elle est première. Liberté et égalité naissent d’elle, elles sont ses filles. Et jamais l’inverse, comme on le pense trop souvent. Toute notre attention, toutes nos forces, tout notre soin iront donc à la fraternité. Aujourd’hui – en 2016 – nous en sommes, hélas, si loin !

Prendre parti

Le Monde diplomatique a la bonne idée, avec les éditions LLL (Les Liens qui libèrent), de publier dans une petite collection (Prendre parti) une série de textes majeurs, parus depuis 60 ans dans le mensuel.

Je découvre 3 textes de André GORZ:

  • Leur écologie et la nôtre
  • Pourquoi la société salariale a besoin de nouveaux valets
  • Bâtir la civilisation du temps libéré

Le premier date de 1974, il y a exactement 40 ans. Le deuxième de 1990 et le troisième de 1993. Les titres sont suffisamment explicites. Ils sont tous les trois d’une extraordinaire actualité, leur lecture est revigorante. Je les lis et relis. Et vous les recommande, toutes affaires cessantes.

Coexistence

Partons de la notion de « réforme », définie comme une amélioration partielle et progressive dans le domaine moral ou social, opposée à « révolution ». Amélioration pour qui ? Pour l’ensemble de la société, elle concerne l’intérêt commun, et, dans ce cas, ne peut être que pro-posée, c’est-à-dire présentée préalablement au regard, enjeu public, débattue par des intérêts pluriels, éventuellement conflictuels, visant néanmoins un accord. Par lui, la part des uns, la part des autres est censée trouver son compte, autrement dit une négociation bénéficiant à tous. Cette négociation suppose des concessions, une forme de lâcher-prise permettant un compromis, une conciliation. Insistance ici d’un cum qui marque et la procédure, se mettre ensemble, et la visée, une politique de coexistence permettant à chacun les moyens d’une existence et de son projet. Ce cum témoigne d’une vigilance à ne pas léser certains, remettant alors en exergue la parole de Solon à l’aube de la démocratie : « un tort fait à l’un nous concerne tous ». 1

Extrait d’un passionnant article de Elisabeth Godfrid: Des inventeurs pour une coexistence. Réformes et lâcher-prise, sur le site EspacesTemps. A lire entièrement, évidemment.

Le mot: démocratisation

Marc Dumont, dans un article sur l’excellent site EspacesTemps 2  attire notre attention sur de fatales confusions:

Sémantique, tout d’abord : en effet, le terme de démocratisation est utilisé dans tous les cas cités comme un synonyme ― c’est-à-dire un terme qu’il est possible de substituer à un autre ― de celui de « popularisation » ou de « généralisation ». Est-ce parce que le premier des deux est trop connoté idéologiquement ― le « peuple », bien peu actuel dans une société d’individus ? Quoi qu’il en soit, la démocratie correspond bien à une équation ― «δήμος dēmos + -κράτος, kratos» ―, suffixe absent dans l’idée de généralisation ou de popularisation. La généralisation ― ou démocratisation du terme ! ― est-elle par ailleurs aussi anodine que cela ?

On touche ici une seconde confusion d’ordre beaucoup plus théorique à laquelle nous allons maintenant nous attacher, entre une réalité et son discours, entre le politique et son expression, entre le pouvoir et le discours sur le pouvoir, par un habile tour de passe-passe.

La démocratie ne renvoie donc pas seulement au dēmos, au peuple, mais surtout à l’idée de gouvernement et au pouvoir. Lorsqu’on dispose d’un caméscope ou d’un mobile connecté 24h/24 sur internet, cela nous rend certainement conforme à l’ensemble des pratiques d’achat et de consommation moyennes des citoyens d’un pays, cela ne nous rend pas pour autant dotés d’un pouvoir ― à moins d’être celui d’un pouvoir d’achat, mais l’idée politique contenue dans la démocratie disparaîtrait du même coup, le pouvoir d’achat n’étant pas en lui-même directement lié à l’exercice d’une capacité politique (sinon de manière indirecte, à l’occasion d’une manifestation publique contre son explosion, par exemple).