Dresde, mai 2017. Comme chaque année, je passe quelques heures dans les musées de la ville. A l'Albertinum [Galerie Neue Meister], une très belle exposition est consacrée aux artistes qui ont visité et peint l'Italie du 19e siècle: Unter italischen Himmeln. A nouveau, comme dans certain tableau vu au musée d'Edimbourg, je suis frappé par la beauté de la lumière et la douceur qui émane des paysages. Je prends quelques photos, pour tenter d'en sauvegarder la trace.
Depuis 2013, je reviens à Dresde chaque printemps. D’une année à l’autre, le temps peut varier énormément. En ce début mai 2017, il fait froid et gris. Le soleil perce à peine quelques jours, quelques heures.
La route m’est devenue familière : Anvers, Eindhoven, Venlo, le très long contournement des villes de la Ruhr, Duisburg, Dortmund, puis le grand élan pour couvrir les 150 derniers kilomètres vers Kassel et pour atteindre enfin mon étape à Warburg. La petite ville est étonnante, perchée sur son coteau, les rues escarpées, l’église, le château.
Le lendemain, je suis en route vers Dresde et je passe ma deuxième nuit dans un petit hôtel de Reichenberg. L’église, tout à côté, sonne les heures, les demies, les quarts. Elle est très ancienne, entourée d’un cimetière où je passe beaucoup de temps à examiner les tombes et à enregistrer d’incroyables oiseaux chanteurs.
Depuis plusieurs années, je passe deux semaines en Allemagne, à Dresde. Comme mon séjour s’écoule en général dans les premiers jours de mai, le printemps est à son plein et couvert de chants d’oiseaux. En 2016, j’ai enregistré pour la première fois un rossignol virtuose qui, obsédant, sonnait le réveil chaque matin dès l’aube dans le jardin de la résidence étudiante où j’abrite mon séjour studieux. Mais ce sont les merles qui occupent, chaque année, la plus grande partie de l’espace sonore. Dresde est bien arborée, les environs sont comblés de jardins, les bords de l’Elbe cachent des trésors de potagers et de vergers, et la forêt toute proche – la Dresdner Heide, est immense.
Dès mon premier séjour, j’ai été intrigué par le chant des merles saxons. Il me semblait que ces oiseaux-là ne chantaient pas la même partition que les merles de mon jardin lillois. J’ai posé des questions autour de moi, j’ai fait part de mon étonnement, sans trouver de réponse formelle à ce qui n’était – peut-être -, qu’une impression mais que je voyais confirmée d’année en année.
Jusqu’à ce que je découvre, par hasard, une communication au Collège de France1 de Martine Hausberger, de l’Université de Rennes. Elle est éthologue et, avant de s’intéresser au cheval, a longtemps étudié le chant des oiseaux, le rôle des relations sociales dans leur apprentissage. Elle confirme bien que les oiseaux ont, en quelque sorte, des « zones dialectales » de l’ordre de 150 km². Les chants sont donc différenciés, la transmission joue ici un rôle majeur, l’apprentissage n’est donc pas le même dans mon jardin du Nord de la France et en Allemagne. J’avais donc « entendu » juste. Au-delà de la petite satisfaction due à ce succès, j’ai été touché de comprendre que, dans chaque région d’Europe, il est possible d’entendre une infinie variété de chants, non seulement en fonction des espèces, mais – au sein d’une même espèce – en fonction du petit « pays » de chaque oiseau. La découverte est donc permanente.
Ce soir-là, depuis les hauteurs de Dresde, par dessus les toits en direction de Hellerau, j’assiste à cet incroyable coucher de soleil. L’or, le bronze, le noir, l’orange, … : tout est splendide, éclatant, tonitruant, et pourtant d’un calme extraordinaire, comme si le monde retenait son souffle.