Belle pensée paradoxale de Claude VIGEE (Cahier de Jérusalem, in Conférence, n°6)
J’écoute en moi brûler la veilleuse muette.
Belle pensée paradoxale de Claude VIGEE (Cahier de Jérusalem, in Conférence, n°6)
J’écoute en moi brûler la veilleuse muette.
Jean SUR, Marché de Résurgences, XXXIX
Un physicien, qui est aussi un spécialiste du Talmud, explique que, pour créer le monde, il a fallu que Dieu, qui tenait toute la place et auprès de qui rien ne pouvait exister, se retire, s’absente, s’exile; c’est ce retrait qui a rendu la création possible. Ce Dieu-là n’est pas le boss dont Obama, fidèle en cela à Bush le fils, promet de « faire le boulot ». C’est l’Émigrant, ou l’Émigré, c’est l’Être ailleurs. Pour ce savant, il y a, sur ce point, concordance entre la théologie et la physique: les particules de la matière, comme d’ailleurs les lettres qui composent les mots, sont mis en scène, ou plutôt mis en vie, par le vide ou l’intervalle qui les sépare. La création serait donc retrait, dépossession. Juste le contraire, remarque ce physicien, des fantasmes de toute-puissance qu’alimentent les jeux électroniques.
Dans le travail musical aussi, dans cette création sans cesse renouvelée, la rencontre n’est possible que dans un mouvement de retrait et de dépossession de soi. C’est aussi le long apprentissage du lâcher-prise. Mais c’est encore l’affirmation que la création n’est possible que parce que chaque chanteur, chaque musicien accepte de laisser de la place aux autres. Et d’abord à soi-même, comme autre de l’autre. Ce qui renvoie à cette absolue nécessité du centre, de cette stricte et puissante individualisation dont je parle par ailleurs, sous le titre de La confrontation créative.
Il y a des manières d’illustrer cette idée-force, de la mettre en pratique, notamment dans la mise en espace du chœur, dans la mise en scène, je dirais plutôt la « mise en vie » par l’intervalle, par la distance, par le vide. Physiquement, en chantant loin l’un de l’autre, dans la distance qui sépare et l’écoute qui relie, mais aussi métaphoriquement, en travaillant sur les intervalles, à la fois comme « accord » et comme séparation/polyphonie/polyrythmie.
Et il écoutera en arrière.
Livre d’Isaïe, 42-43.
Dans le travail avec l’ensemble vocal, je cherche à développer la capacité des chanteurs à se rendre disponible à l’instant, « rien que » pour l’accord que l’on fait vibrer. C’est à la fois le don – par le souffle – et l’écoute des autres et de l’équilibre ainsi créé. Sans projet, sans projection, sans objectif. « Rien que » cette disponibilité méditative plutôt que réflexive – celle qui ne génèrerait qu’une écoute inquiète de son propre son.
J’ai rencontré plusieurs fois à Rennes, Gabriel André – il dirige l’école de chant choral de St-Vincent. Je me souviendrai toujours de sa recommandation aux chanteurs : Faites la preuve que vous savez écouter ! (et pas que vous savez chanter, ce qui va de soi, ce dont tout le monde convient…).
(…) Car l’Ecriture crépite de sens uniquement pour celui qui sait se disposer à l’écoute, qui sait rester longtemps silencieux. Une telle pratique est considérée aujourd’hui comme une malformation, on soigne les taciturnes avec de bons résultats. (…) Dans le rock and roll fébrile des besoins et des désirs on se démène sur la piste seulement pour soi-même. L’unique intégrisme actuel est la surdité.
Erri DE LUCA, Comme une langue au palais, p.60