J’ai le souvenir précis de mon entrée en poésie espagnole. La connaissance livresque que j’en avais jusqu’alors a complètement disparu derrière la révélation de ce moment de grâce.
En 1985, j’étais en Espagne dans le cadre de mon travail pour la fondation Europalia. J’étais responsable du programme d’échanges de jeunes entre la Belgique et l’Espagne. J’ai été invité par un lycée de la Communauté de Madrid à assister au spectacle préparé par des élèves qui, sur la scène de la grande salle du théâtre, disaient de la poésie espagnole. La première à se présenter fut une fille toute en noir, belle, vibrante, qui dit – d’une voix profonde et avec un talent dramatique bouleversant – la très ancienne complainte El enamorado y la muerte [L’amoureux et la mort]. Le ton était donné: tout le spectacle fut de la même qualité. Ma connaissance du castillan était bien imparfaite mais elle était largement compensée par le talent des étudiantes qui se succédaient sur la scène.
Ce jour-là, j’ai entendu pour la première fois la magnifique Elegia [Élégie]
de Miguel HERNANDEZ, dédiée à Ramon Sijé, le 10 janvier 1936.
Dès les premiers mots, l’émotion est immense …
Yo quiero ser llorando el hortelano
De la tierra que ocupas y estercolas
compañero del alma, tan temprano.