Déforestation – une proposition

Elle ne manque pas de sel, la proposition cynique de Lydie Salvayre, parue sur le site de Périphéries.

Proposition en faveur de l’abattage impitoyable des arbres, arbustes et arbrisseaux

1 – Regroupés en forêts, les arbres, arbustes et arbrisseaux servent d’ultime refuge aux animaux sauvages et aux hommes qui fuient leurs semblables. Une bonne déforestation permettrait de se débarrasser définitivement des uns comme des autres.

2 – Ramifiés en branches et branchettes, les arbres offrent aux désespérés un support idéal où attacher leur corde. La taille systématique des branchages (limitant les arbres à leur tronc) diminuerait sensiblement la vague des suicides qui affecte le pays.

3 – Traité par l’industrie, le cœur des arbres réduit en pâte, se transforme en papier sur lequel des hommes énervés écrivent des romans. Un déboisement radical (entraînant à court terme la chute des activités papetières) verrait la disparition progressive des livres susnommés, fort nocifs, semble-t-il, au calme des nations.

4 – Des expressions péjoratives telles que : maladroit comme un manche, con comme un balai, ennuyeux comme une scie (ou sciant), ainsi que les injurieuses comparaisons à un gland, à une bûche, à une branche, à un fagot ou à tout autre objet sylvestre mourraient de leur mort naturelle.

5 – Le poète exagérément célébré Federico Garcia Lorca, espagnol, pédéraste et auteur de Vert que je t’aime vert (éloge sirupeux de la fonction arboricole) serait dès lors remis à son juste échelon. C’est-à-dire le dernier.

6 – Enfin, nous n’aurions plus l’énervement d’ouïr, murmurées artistement à nos oreilles, des inepties du genre : La clarté déserte de ma lampe / Sur le vide papier que la blancheur défend, où le bon sens et la raison sont impudemment insultés.

Le poteau d’angle

Jaccottet1J’ai noté, il y a bien des années déjà, ce très beau texte de Philippe JACCOTTET [extrait de Notes nocturnes]. Il éveille un écho: les Poteaux d’angle de Michaux. J’aime l’idée de ces piles sur lesquelles s’appuyer, de ces poteaux auxquels on s’adosse. Nos découvertes – de lecteurs, d’auditeurs, d’artistes – sont progressivement remplies de ces poteaux. Ils forment, petit à petit, une véritable forêt.

Adossé, vermoulu,
à ce pilier à peine moins précaire,

j’aimerais ne plus délivrer que des paroles
qui éparpillent les toits
(car même un toit de paille pèse trop
s’il vous sépare du rucher nocturne).

Des paroles pareilles
aux actes des fleurs, bleus ou rouges,
à leur parfum.

Je ne veux plus des labyrinthes,
même pas d’une porte :

juste un poteau d’angle
et une brassée d’air.

Déliés les pieds, délié l’esprit,
libres, mains et regards :

alors, le deuil nocturne
est entamé par en bas.

La cabane

Je songe à la cabane au milieu des vignes dont parle le premier chapitre d’Isaïe. On s’y réfugie, on y est bien parce que tout, alentour, est dévasté. Magnifique et dévasté.

Christophe CARRAUD, in Conférence n° 25, p. 163


(…) Je pense que, plus fondamentalement, la cabane a quelque chose à voir avec le corps mobile et itinérant, avec le corps que nous sommes, la maison avec le corps que nous avons. Certes, les deux sont le même corps, mais perçu différemment. L’un de l’intérieur, le « corps propre » ou corps organique (Leib) comme dit Husserl, l’autre, de l’extérieur, corps-objet (Körper), que je puis saisir comme n’importe quel autre objet. Ce corps que j’ai et que je suis à la fois ou que je suis sur le mode de l’avoir est aussi, d’un certain point de vue, une forme d’abri.

Gilles A.TIBERGHIEN, Notes sur la nature, la cabane et quelques autres choses, p. 41