Il me semble, parfois, qu’une épidémie de peste a atteint l’humanité dans sa fonction la plus caractéristique, l’usage de la parole ; cette peste langagière se traduit par une moindre force cognitive et une moindre immédiateté, par un automatisme niveleur qui aligne l’expression sur les formules les plus générales, les plus anonymes, les plus abstraites, qui dilue les sens, qui émousse les pointes expressives, qui éteint toute étincelle jaillie de la rencontre des mots avec des circonstances inédites. Ce qui m’intéresse ici, ce n’est pas de savoir s’il faut chercher les origines de cette épidémie dans la politique, dans l’idéologie, dans l’uniformité bureaucratique, dans l’homogénéisation que provoquent les médias, ou dans la diffusion par l’école d’une culture moyenne. Ce qui m’intéresse, ce sont nos chances de guérir. La littérature (et elle seule, peut-être) est en mesure de créer des anticorps qui s’opposent au développement du fléau.
Italo CALVINO, Leçons américaines1, p. 99