La courbe chromatique

Au-delà du langage s’impose le silence, mais en tant qu’absolu du langage, selon une courbe chromatique qui va du silence au sonore en se décomposant ainsi, elle aussi « dans un monde sonore »: le silence, l’inaudible, le murmuré, l’audible, le sonore enfin, lui-même décomposé en grave, moyen, aigu. Le silence est par conséquent le bruit de la pensée et son signe le plus sûr, la pensée est une totalité « qui surpasse la totalité énumératrice, additive que fournit la parole ». Mais la parole ainsi conçue, dans ce silence, le longe et le fait fructifier, comme quelque effet de l’Un qui retomberait en pluie: mots, traces, briques, gouttes de lait, beurre fondu du sens. Ainsi agencée, la parole joue et dit l’agencement, propose sa paix et son silence, l’impose comme un exemplum face au désagencé, au démoniaque.

Jean-Christophe BAILLY, Phèdre en Inde

Voilà qui est à creuser: comment mettre en oeuvre cette courbe chromatique dans le travail du lecteur, de l’acteur, du chanteur ? Dans la musique polyphonique. Et surtout arriver à faire consister et à faire comprendre ce silence comme « bruit de la pensée » ou « beurre fondu du sens ». Tout un programme.

Les livres ne suffisent pas

La culture n’a jamais été aussi disponible. Elle n’en est pas moins en fâcheuse posture. Non tant à cause de sa marginalisation, que de son absence de lieu désigné. Les livres ne suffisent pas. Ce qu’il faudrait, en plus, ce sont des communautés de lecteurs. Un nous fondé sur leur lecture. Soyons honnêtes: la communauté ne suffit pas non plus. Ou pas toujours. (…) Comme le résume un autre personnage de Thomas Bernhard dans Oui: « Pour peu qu’on ait à proximité un seul être avec lequel on puisse, en fin de compte, parler de tout, on tient le coup, autrement, non. »

Olivier REY, Quelle vie, quel voyage, avec qui ?, in Conférence n°22, p.21-22

Le respect

Le lecteur n’est pas supposé, forcément, aller bien, il se pourrait même que le lecteur aille mal, je veux dire que le lecteur n’a pas à subir l’auteur qui aurait des vagues à l’âme, des coincements existentiels, des crampes métaphysiques, le lecteur n’a pas envie de lire ça, le lecteur n’a pas à subir les lubies & les noirceurs de l’auteur quelle que soit la pertinence avec laquelle celui-ci met ses noirceurs et ses lubies dans la syntaxe, le lecteur n’a ni mérité ni recherché ça, la justesse des descriptions, la finesse des analyses, la profondeur des réflexions, la force des arguments, l’impact des images, rien de tout ça ne touche le lecteur, rien de tout ça ne l’atteint, je veux dire: l’auteur il n’a qu’à se tenir, l’auteur doit au lecteur respect en toute circonstance, (…)

Lambert SCHLECHTER, Le murmure du monde, p. 108