La ligne

Pourtant la ligne, au lieu d’être conçue dynamiquement comme la tension de sa propre avancée, peut être considérée comme ce qui, en se traçant, coupe l’espace en deux. Vue comme cela, elle est alors le vecteur de la séparation, la matrice des enclos et des frontières.

Ce qui apparaît en filigrane derrière cette double vocation de la ligne, c’est un monde de lignes qui ne délimiteraient jamais des surfaces opposées, un monde de lignes vivantes et toujours parcourues: la pelote de la connexion, l’inextricable réseau du « connecter infiniment » dans lequel Hölderlin reconnaissait l’acte même de la pensée. Un monde de particularités non divisées, mais simplement visibles et visitées, un monde sans clôtures, sans frontières, sans interdits, sans points inatteignables.

Jean-Christophe BAILLY, Le propre du langage, p. 112

Routes

Suivre un trajet est, je crois, le mode fondamental que les êtres vivants, humains et non humains, adoptent pour habiter la terre. (…)

Chez les Inuits, il suffit qu’une personne se mette en mouvement pour qu’elle devienne une ligne. Pour chasser un animal, ou retrouver quelqu’un qui s’est peut-être perdu, les Inuits tracent une piste linéaire dans l’étendue et se mettent en quête d’indices menant à une autre piste jusqu’à atteindre le but recherché. Le pays entier est donc perçu comme un entrelacs de lignes et non comme une surface continue.

Tim INGOLD, Une brève histoire des lignes, Z/S

Les routes aux États-Unis suivent souvent le tracé d’anciennes pistes indiennes, et même certaines rues des grandes villes dont Broadway est l’exemple le plus célèbre. (…) Les Américains ont d’ailleurs ce qu’on peut appeler une « culture » de la route qui nous est inconnue en Europe (…). Il semblerait (…) que les grands sentiers de migrations indiens étaient tracés par les bisons. Les Indiens de toutes façons se déplaçaient beaucoup et facilement : ils pouvaient se dérouter au moindre prétexte — la visite d’un ami, une fête, un raid sur un village voisin. Les sentiers étaient de différents types avec des fonctions précises : celui qui mène aux champs, celui qui conduit au monde extérieur et puis aussi le fameux « sentier de la guerre » qui existait vraiment.

Gilles A. TIBERGHIEN, Notes sur la nature, la cabane et quelques autres choses

Voir aussi, sur une autre page, Mémoires indiennes.

Mémoires indiennes

Le film de Arthur LAMOTHE, Mémoire battante (1992), est un très long document sur ce qui restait de la vie traditionnelle des Indiens Montagnais dans le Nord Québec, à la fin des années 60 et dans le courant des années 70, au moment où il a réalisé ce reportage: la vie dans la réserve, la vie sauvage, la chasse, les pratiques rituelles (la « suerie », …) , l’évocation des rites (la « tente tremblante »), la langue, le vocabulaire extrêmement subtil qui touche à la nature, à la géographie des lieux, aux pratiques rituelles, …

En écho, je me souviens d’avoir vu, il y a quelques années, un autre film canadien: Voyage en mémoires indiennes, de Jo BERANGER (2004). C’est le long parcours du souvenir de l’acculturation violente subie par de nombreux enfants, arrachés à leurs parents, à leur vie, pour être « civilisés » de force dans des écoles animées par des congrégations religieuses.
Voir à ce sujet: les excuses officielles du gouvernement canadien, en 2008, comme condition de réconciliation.

Ce film présente aussi une expérience tout à fait originale d’école reprise et gérée entièrement par une communauté indienne du centre du Canada: le Blue Quills First Nations College. Un modèle (unique ?) de prise en charge de l’éducation des enfants des « peuples premiers », dans le respect de leurs traditions ancestrales. A voir.1

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