Le corps au travail

Il y a une musique dans le corps humain comme dans le corps des animaux. Il y a une musique, je l’ai reconnue dans mon corps pendant ma vie d’ouvrier, les années de travail vendu: dans la journée, quand le corps était entièrement soumis au travail, la répétition des mêmes gestes finissait par prendre un rythme musical et le corps était mieux à même de soutenir l’effort s’il avait ce rythme musical en lui. Et quand on en prend conscience, on se met à chanter, non pas pour exprimer sa joie ou parce qu’on est heureux, mais parce que le corps a besoin de ce rythme qui le fait monter à la surface. Finalement la tête s’en aperçoit et commence à chanter dans le rythme que le corps lui suggère. Il y a une partition musicale que déploie le corps au travail.

Erri De Luca, entretien avec Laure Adler, in L’entretien n°2.

La trace

[Ce post fait suite à L’expressivité du sensible, L’expressivité du sensible II]

Il est intéressant de noter que, à partir du travail du mouvement dans la pleine conscience du corps, s’installe une trace. Elle s’inscrit progressivement – dans la mémoire corporelle, dans l’écoute individuelle et collective. La répétition n’est plus alors un espace de reproduction technique, mais se vit comme une expérience répétée, renouvelée, d’expressivité, qui inscrit cette trace : trace de mobilisation du système nerveux, trace émotionnelle, trace de sens. C’est bien là pour moi l’enjeu véritable du travail répétitif.

Il est question du rapport au corps / à sa liberté / à son expressivité. Qui modifie complètement l’expression musicale, la qualité, l’émotion, et donc la transmission. Là tout se joue.

L’expressivité du sensible II

Ce post fait suite à L’expressivité du sensible. J’en tire des pistes de travail pour les chanteurs/chanteuses.


  • La recherche des sources d’expressivité dans la voix incarnée/incorporée. Le rapport au souffle, qui est la clé, le vecteur, l’instrument véritable. Le rapport au corps comme instrument complet, non clivé, « organisme-personne ».
  • Travailler sur les micro-mouvements (intérieurs et extérieurs). Développer l’attention, l’écoute interne, individuelle, mais aussi collective, en pratiquant les échanges de micro-mouvements (mobilisation pour autrui, de l’épaule, du cou, de la tête, du bassin, etc …).
  • Partager la sensation du toucher ; de la chaleur, …

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La surface et la profondeur

Antoine EMAZ écrit (Cambouis, p. 125): Pour saisir la profondeur, commencer par s’arrêter à la surface. Ne pas la négliger, la regarder attentivement. Sinon on invente la profondeur bien plus qu’on ne la découvre.

Bien entendu, Emaz parle ici de l’écriture – de son travail d’écrivain, de poète. Mais je ne peux m’empêcher d’y lire un conseil pour toute pratique artistique et, singulièrement, pour celle qui m’occupe: la pratique musicale. J’ai l’intuition que son approche est juste. Pour éviter d’inventer la profondeur – croyant l’avoir révélée.
Dans le travail musical, je passe beaucoup de temps « à la surface » des choses: la répétition soutient précisément cette approche attentive, renouvelée, soigneuse. Revenir, encore et encore, sur le déroulé d’une phrase musicale, sur la précision d’une intonation, sur la qualité d’un son. La répétition peut être innombrable, le temps qu’on y consacre, considérable. Ce qu’on découvre ensuite, progressivement, comme un dévoilement, est difficile à nommer. Je n’aime pas considérer que nous sommes à la recherche d’une pensée originelle – celle du compositeur, celle du temps mythique de l’origine de l’œuvre. Le temps de la pratique musicale est nôtre, complètement, et n’a aucun compte à rendre à des instances absentes, qui seraient convoquées aujourd’hui au titre de l’authenticité. Le seul compte à considérer est celui de la cohérence de notre découverte progressive, de notre perception et de notre compréhension, qui s’appuient, en plus, sur une somme d’éléments 1 dont l’authenticité ne tient aucune raison.

Je pense que la profondeur se découvre dans le travail de soi à soi – dans la vérité de ses propres émotions, dans la justesse de sa propre voix (aux divers sens de l’expression).