La spirale, le cercle, le réseau

Le chemin sinuant, la courbe, le réseau, la toile des sentiers qui se croisent ou forment des spirales, épousent à la fois le rythme des pas, la multiplicité des alertes, le renouvellement infini des sollicitations. Ces formes, partout dans le monde, sont associées aux déplacements des peuples nomades, des chasseurs, des guerriers, … Ils forment de très anciennes traces dans nos mémoires. Ils s’illustrent aussi sur les parois des abris sous roches, constellés de gravures, depuis des temps immémoriaux.

Je me souviens de ces traces dans le désert mauritanien, sur les pentes de l’Himalaya, mais aussi, beaucoup plus proches de nous, les sentes des anciennes transhumances à travers le Causse ou vers les massifs des Cévennes. 1

Le déplacement mécanique me morcelle. Il me faut toujours retrouver le rythme balancé de la marche, cette connaissance qui écrit des pas souvent invisibles sur la peau du paysage, qui fait accéder à une conscience de l’instant, hors de la durée. C’est peut-être ce que veulent nous dire ces spirales néolithiques gravées dans le roc de Carschenna, dans les Grisons: l’onde qui se propage est l’image d’une réalité qui se déploie, respire. (Je crois entendre Rilke disant: « Je vis ma vie en cercles de plus en plus grands / qui sur les choses s’étendent »). On retrouve ces images de spirales gravées sur bien des rocs à la surface de la terre, comme si les peuples qu’on dit premiers avaient voulu rendre compte d’une connaissance possible du monde. Une onde qui s’amplifie, qui rayonne. (…)

Alain Bernaud, Sur le chemin du Pan perdu, in Conférence n°20, p. 56 Continuer la lecture de « La spirale, le cercle, le réseau »

La ligne

Pourtant la ligne, au lieu d’être conçue dynamiquement comme la tension de sa propre avancée, peut être considérée comme ce qui, en se traçant, coupe l’espace en deux. Vue comme cela, elle est alors le vecteur de la séparation, la matrice des enclos et des frontières.

Ce qui apparaît en filigrane derrière cette double vocation de la ligne, c’est un monde de lignes qui ne délimiteraient jamais des surfaces opposées, un monde de lignes vivantes et toujours parcourues: la pelote de la connexion, l’inextricable réseau du « connecter infiniment » dans lequel Hölderlin reconnaissait l’acte même de la pensée. Un monde de particularités non divisées, mais simplement visibles et visitées, un monde sans clôtures, sans frontières, sans interdits, sans points inatteignables.

Jean-Christophe BAILLY, Le propre du langage, p. 112

Chercher l’inespéré

Cynthia FLEURY, 35 ans, est philosophe, professeur à l’IEP et à l’Ecole Polytechnique de Paris.

Dans une interview donnée au Monde.fr, le 23 octobre 2010, elle plaide en faveur d’un compromis démocratique.

Elle souligne que ce serait une erreur de considérer que les élites – issues du pouvoir représentatif – sont seules légitimes. « Dans les démocraties modernes, il y a d’un côté des citoyens éclairés, des citoyens responsables, et de l’autre des élites éclairées, des élites responsables. Le dénigrement systématique ne mène à rien. La démocratie, ce n’est pas la réciprocité des mépris. »

J’admire l’intelligence et la clairvoyance de cette jeune femme. Et son engagement quand elle affirme la nécessité, pour sortir des crises dans lesquelles nous nous trouvons, de ré-inventer la démocratie. Elle cite cette très belle phrase d’Héraclite: Si tu ne cherches pas l’inespéré, tu ne trouveras rien.
Elle note, comme le fait Bernard Stiegler à sa manière [voir Ars Industrialis], que nous faisons face à une exigence de pluralité et de complémentarité des légitimités, à un impératif d’invention démocratique. Aujourd’hui, les réseaux – de trans-individuation selon le terme utilisé par Stiegler, sont des outils extraordinairement créatifs, productifs, pour alimenter une production collective, plurielle, de la raison publique et du pouvoir d’Etat. Fleury dit croire aux majorités qualifiées citoyennes qui peuvent surgir de ces réseaux sociaux, et renouveler notre exercice de la démocratie.