Jean SUR, Marché de Résurgences, XXXIX
Un physicien, qui est aussi un spécialiste du Talmud, explique que, pour créer le monde, il a fallu que Dieu, qui tenait toute la place et auprès de qui rien ne pouvait exister, se retire, s’absente, s’exile; c’est ce retrait qui a rendu la création possible. Ce Dieu-là n’est pas le boss dont Obama, fidèle en cela à Bush le fils, promet de « faire le boulot ». C’est l’Émigrant, ou l’Émigré, c’est l’Être ailleurs. Pour ce savant, il y a, sur ce point, concordance entre la théologie et la physique: les particules de la matière, comme d’ailleurs les lettres qui composent les mots, sont mis en scène, ou plutôt mis en vie, par le vide ou l’intervalle qui les sépare. La création serait donc retrait, dépossession. Juste le contraire, remarque ce physicien, des fantasmes de toute-puissance qu’alimentent les jeux électroniques.
Dans le travail musical aussi, dans cette création sans cesse renouvelée, la rencontre n’est possible que dans un mouvement de retrait et de dépossession de soi. C’est aussi le long apprentissage du lâcher-prise. Mais c’est encore l’affirmation que la création n’est possible que parce que chaque chanteur, chaque musicien accepte de laisser de la place aux autres. Et d’abord à soi-même, comme autre de l’autre. Ce qui renvoie à cette absolue nécessité du centre, de cette stricte et puissante individualisation dont je parle par ailleurs, sous le titre de La confrontation créative.
Il y a des manières d’illustrer cette idée-force, de la mettre en pratique, notamment dans la mise en espace du chœur, dans la mise en scène, je dirais plutôt la « mise en vie » par l’intervalle, par la distance, par le vide. Physiquement, en chantant loin l’un de l’autre, dans la distance qui sépare et l’écoute qui relie, mais aussi métaphoriquement, en travaillant sur les intervalles, à la fois comme « accord » et comme séparation/polyphonie/polyrythmie.