Solidaires

Jean-Marie PELT, botaniste et écologiste de renommée internationale, souligne1 la différence d’interprétation entre Max Weber (le meilleur, celui qui gagne, serait le plus méritant, preuve qu’il est béni des dieux – de Dieu) et Kropotkine, anarchiste russe, géographe, géologue et naturaliste, qui a étudié les mécanismes d’entraide dans la nature. Pour Kropotkine2, les individus les mieux adaptés ne sont pas les plus agressifs mais les plus solidaires. L’aide réciproque est l’arme la plus puissante dans la lutte pour l’existence contre les forces hostiles, la nature et les espèces ennemies, mais aussi le facteur le plus important du développement progressif.

Bien sûr, il y a, entre les deux hommes, un profond écart de culture politique. Mais je pense que la crise que nous vivons aujourd’hui – double crise de notre relation aux autres et à la nature, donne profondément raison à l’interprétation de Kropotkine.

Austérité ou sobriété ?

Étrange et inquiétant aveuglement de nos gouvernants – à moins que ce ne soit pur cynisme, de mener une politique destructrice d’austérité3, qui vise à priver les citoyens des pays européens de l’essentiel, à réduire voire à supprimer ce qui rend la vie possible (le soin, les soins, l’éducation, la culture, la solidarité, …), plutôt qu’une politique raisonnée de sobriété, qui viserait précisément à réduire voire à éliminer tout ce dont nous n’avons pas absolument besoin, tout ce qui est superflu, qui n’est pas essentiel à notre vie. Chaque jour apporte confirmation de cet aveuglement, de cet égarement fatal, qui risque de nous conduire tous au désastre irréversible d’une violence sociale que plus aucune promesse ne pourra contenir.

J’ajoute plus tard [février 2015]: il est intéressant de noter que les mots ne sont pas innocents. En allemand, le mot Schuld est à la fois la faute et la dette. La dette est une faute à expier. Pas étonnants l’incompréhension, le choc culturel entre l’Europe du Sud – solaire – et l’Allemagne – protestante et rigoureuse.

Je note encore: Pierre Rhabi parle depuis longtemps déjà de sobriété heureuse. Mais bien sûr !

La lettre au ministre

jeanne_moreauEn 2009 – il y a donc si longtemps ! – Paula Albouze, une citoyenne française, a écrit à un ministre de l’époque, disparu depuis lors de l’horizon politique, en charge d’un ministère qui a heureusement disparu lui aussi, une lettre qui a fait le tour de la toile. Elle a été présentée par A. Mnouchkine à la Cartoucherie, elle est lue ici par Jeanne Moreau. Si je la publie à mon tour, aujourd’hui, c’est pour qu’on se souvienne de cette lettre admirable. Elle rend justice à l’humanité. Aujourd’hui encore, la devise de la République, Liberté, Égalité, Fraternité, reste de l’ordre du projet. C’est pourquoi cette lettre est devenue intemporelle, son actualité ne se dément pas.

Ecoutez:

Résistance

   À une époque où chacun se voit sommé de réussir et d’être performant, peut-être n’a-t-on jamais autant parlé de mal-être et de souffrance sociale. Naguère, les individus se regroupaient sans doute plus spontanément de façon collective pour combattre l' »oppression » ou l' »exploitation » ; ils inscrivaient leur souffrance dans une communauté humaine. Aujourd’hui, beaucoup de nos contemporains consultent, individuellement, le corps médical ou des psychologues. Les plus fragilisés par les logiques économiques actuelles et la pression sociale éprouvent un surcroît de tension. Ils ne trouvent plus d’espaces de reconnaissance et souffrent de voir sur l’écran de télévision l’argent s’étaler, les richesses déborder ; alors que leur quotidien devient de plus en plus précaire.

Une culture du ressentiment se développe. Elle fragilise nos démocraties. Comment permettre, alors, à chacun de trouver sa place ? Comme retrouver le sens du mot « société » ? De quelle manière agir face à l’inquiétante montée des inégalités sociales ? Qu’est-ce qui peut nous faire passer d’une solitude habitée par la crainte d’autrui à la solidarité active et non-violente ? Comment résister à la tentation « sécuritaire » tout en se sentant en « sécurité » ? En électronique, la résistance est un conducteur dans lequel toute l’énergie électrique est transformée en chaleur. Transposée dans le domaine social, la résistance doit être comprise, dans ce livre, comme l’énergie sociale qui se manifeste, en puissance ou en acte, sous la forme d’une solidarité joyeuse et d’une espérance vécue. Face à la froideur des logiques d’exclusion et des courses au profit, la résistance met en mouvement des forces, parfois insoupçonnées, en stimulant la production de chaleur humaine. Il convient alors, plus que jamais, de l’organiser.

Fred POCHÉ, Organiser la résistance sociale, 2005

Je note, pour moi, sur un coin de table, et je souligne que la capacité d’indignation est sans doute, aussi, un puissant facteur de résistance.