Depuis plusieurs années, je passe une partie de l’été dans un tout petit village, aux confins du Tarn et de l’Aveyron, accroché aux coteaux abrupts qui dominent la vallée du Viaur et celle du Lézert. Cet été, je reprends la lecture de La nouvelle chronique fabuleuse (André Dhôtel) et je tombe sur un passage1 dans lequel je reconnais immédiatement cet endroit magique. C’est comme si j’étais entré par effraction dans le récit. Il y a de ces coïncidences, de ces échos étonnants dont notre vie est pleine.
Il existe des lieux où tous les mots deviennent plus humbles que ceux pour demander un petit pain chez le boulanger, peut-être à cause du silence exceptionnel qui règne alentour et reprend à lui aussitôt nos plus éloquents bavardages. Nous avons su tout de suite, Martinien, en arrivant à l’extrémité de ce hameau, que nous nous trouvions dans un tel lieu, et nous nous sommes arrêtés pour regarder les choses.
La route tournait à angle droit devant une haie. Vers la gauche c’étaient des prairies et des bois. A droite une maisonnette dont le pignon touchait la haie. Pas loin de la maisonnette un sentier suivait un mur bas pour se perdre dans le vide d’une vallée et d’un ciel. Ce petit ensemble, on avait l’assurance de plus en plus vive qu’il n’était pas situé. Comme s’il s’était détaché de toute la contrée. Peut-être cela était dû au déséquilibre entre les prés bien établis sur le plateau et l’espace incertain de la vallée et du ciel de l’autre côté. Mais je crois plutôt qu’à des moments il y a une rupture qui rejette à leur solitude certains fragments du monde, comme s’ils étaient devenus inutiles ou superflus.