Chanter le Kanon Pokajanen

Kanon Pokajanen – Arvo Pärt 1

Chanter le Kanon Pokajanen, c’est faire l’expérience physique du temps, une expérience presque douloureuse mais vitale : le déploiement de l’œuvre dans son temps propre nous insère dans un temps contracté, dans lequel tout repère nous est retiré. Deux heures de musique et, au bout du compte, plus rien qu’une suspension, plus rien que la fatigue illuminée, radieuse, la sensation d’un éclair qui nous aurait traversé le corps.

Pour le temps que nous pouvons à peu près compter, le temps de notre vie, celui qui passe irrémédiablement, la longue fréquentation d’une œuvre aussi importante, sur près de 10 ans, représente une part énorme. Elle établit une longue et féconde familiarité avec les formules sacramentelles, celles de cette prière de contrition que nous commençons à connaître – non pas à connaître par cœur comme on apprend un rôle au théâtre, mais à re-connaître, intimement, comme si ces paroles de pénitence dans cette langue inconnue, nous en étaient devenues si proches, que nous en percevions comme l’héritage mystérieux, presque la nostalgie d’un pays que nous aurions habité. Continuer la lecture de « Chanter le Kanon Pokajanen »

Le rythme – la cadence – le temps

Rythme, cadence. Le rythme est de l’ordre de la figure fluide, de la poussée, du pulsionnel ou du pulsatif, du pouls. La cadence, de l’ordre du battement, de la battue des temps, de la montre. Le continu et le discontinu du temps, ou bien le temps/les temps.

Jean-Luc Nancy et Mathilde Monnier, Allitérations, p. 113

L’allure du temps

Pierre Bergounioux cite2 Charles Vildrac qui, dans les années 30, déplore déjà qu’une vie d’homme ne soit plus contenue dans une époque mais en contienne, dit-il, trois ou quatre dont aucune n’a eu le temps de s’épanouir dans la durée bien qu’elle se cristallise en nous.

Marcel Detienne3 a relevé, chez Michelet, en 1872: Un des faits d’aujourd’hui les plus graves, les moins remarqués, c’est que l’allure du temps a tout à fait changé. Il a doublé le pas d’une manière étrange.

Et Fabio Merlini4 cite Campanella qui s’en préoccupait déjà en 16025: (…) c’ha più istoria in cento anni che non ebbe il mondo in quatro mila; e più libri si fecero in questi cento che in cinque mila (…).

Le désir II

Un mot encore, sur le désir. Ou plutôt deux.

D’abord, il y a clairement un rapport entre le désir et le temps. Le désir s’inscrit dans la durée. Désirer s’effectue dans le temps, dans le temps du désir, justement.6 Le désir a ce point en commun avec la musique, le temps est le point de rencontre entre le désir et la musique. Mais autant le plaisir est dans l’immédiateté, dans la recherche compulsive de la réalisation instantanée, autant le désir me semble de l’ordre de la maturité : il gère l’inachevé, le perfectible.

Ensuite, si le désir est de l’ordre de l’inachevé, c’est bien dans une perspective dynamique : la poursuite de son objet est permanente, elle est le mouvement même qui anime la pratique. Il ne s’agit donc pas d’un inachevé à l’image d’un chantier abandonné, mais d’un inachevé stimulant, dynamique, qui motive la recherche permanente …