Jean FOLLAIN

Dans Tout instant, ce recueil admirable, d’une langue précise, limpide, semée parfois d’images surprenantes, comme des pépites dans une rivière aux reflets étonnants, Follain évoque – à travers les objets – le temps (perdu) de son enfance, celui d’un monde disparu. L’image de la faïence ébréchée, du bol brisé, des fragments de vaisselle est la métaphore de ce recueil de fragments, de textes courts, souvenirs, éclats du temps. Le discours interrompu, l’évocation d’un instant, rendu soudain extraordinairement vivant par une annotation, un mot, un geste, précisément inscrits dans un souvenir incarné.

(…) J’ai peur qu’il ne tombe de mes mains …

(…) Il arrive que la vaisselle tombe des mains des femmes.

(…) le plat s’écrase à terre, montrant sa cassure sombre.

Pourquoi alors avoir le sentiment que le monde est merveille ? Est-ce parce que la servante est belle ? (…) Continuer la lecture de « Jean FOLLAIN »

Le petit-fils du prince Genji

Etrange et fascinant récit, que celui de L.Krasznahorkai – qui met en scène la quête intemporelle d’un jardin mystérieux, le jardin caché, le centième du célèbre livre Cent beaux jardins. Nous sommes dans le rêve, dans l’histoire, dans la méditation, dans la folie, dans une faille du temps, dans la contemplation zen, dans l’art japonais des jardins, dans le mystère incroyable de la naissance végétale, dans le regard éperdu de cet homme qui a consacré les siècles que dure sa vie à la recherche de ce mystérieux jardin. Et qui, au bout du compte, par inadvertance, par fatalité, par destinée de l’inaboutissement, passera juste à côté sans le voir, au coeur même du temple déserté qu’il a réussi à pénétrer.

Le récit se divise en 50 chapitres, dont manque le premier. Faille du livre ?
Un auteur hongrois pour un livre japonais. Un vrai bonheur de lecture.

Laszlo KRASZNAHORKAI, Au nord par une montagne, au sud par un lac, à l’ouest par des chemins, à l’est par un cours d’eau.
Traduit du hongrois. Publié à Paris chez Cambourakis en 2010.

La matière des livres

Des raisons impérieuses dictées par des dieux inconnus et changeants, des procédés, des diagonales et des agencements réglés par l’impatience et la rumination, des données et des événements sans consistance mais inducteurs d’émotions, des écarts et des ruptures, des surprises et des bouleversements, des fusées jaillies fortuitement, des éclairs aveuglants, des sauts dans le temps et dans l’espace, des dons du souvenir et du présent, et des retours de la joie, telle est la matière des livres.

Serge VELAY, Progrès en écriture assez lents, p. 107

Et puis, où ai-je lu et noté ceci ? Je ne m’en souviens plus. La citation est de KAFKA, du moins c’est ainsi qu’elle m’a été rapportée. Peu importe. Il y a dans cette image toute la solitude d’une enfance perdue.

Ces livres contre lesquels on se blottit.

Gilbert HOUËL

Dans la revue Conférence (n°29), je découvre avec délectation la très belle poésie inédite de Gilbert HOUËL (1919-2007). Le petit mot d’introduction nous apprend que l’auteur était premier violon à l’Orchestre National. Il a très peu publié, semble-t-il. Je n’ai trouvé qu’un recueil, épuisé aujourd’hui. Cette poésie fait écho pour moi à d’autres textes, ceux de Follain, par exemple. On y trouve la même évocation de l’enfance et d’un passé désuet. Textes profonds, magnifiques.

Voix d’enfance des déversoirs; elle perpétue en toi la campagne auréolée. Tu t’avances dans la profondeur qu’accroît la transparence du jour; le temps revécu t’accompagne et te porte aux confins naturels. Où se perd la distance de l’homme, ils proposent le règne et la paix qui te lient? Tu es l’égal de ce chant grave et de l’été souverain.

* * *

Rendez-moi la lampe du soir d’autrefois sur la campagne éteinte.

Rendez-moi l’octobre chancelant à voix de brume et d’enfances mortes.

Rendez-moi le long sommeil et le rêve perdus dans les chambres du temps qui s’éloigne.

* * *

Là-bas
Où la grande solitude de la terre
Tourne en rond indéfiniment
Comme une bête sauvage
Dans la cage du ciel

Il y a
Cernées d’eau et de nuit
ma vie
Et ma peine bien aimée
Main dans la main
Sous la lampe étroite
Et la rouge chaleur du coeur endormi
Qui se souvient.