Le progrès et les progressistes

Comment marche le progrès ? (…) Le progrès, c’est de rentrer en soi, de ne rien y chercher, de se contenter de ce qu’on y trouve. Le progrès, ce n’est pas de progresser ; le progrès, c’est de régresser pour récupérer, pour reconnaître, pour raccommoder, pour s’approcher humblement du mystère et mieux l’écouter. Les crabes marchent sur le côté. L’allure des humains dignes de ce nom est plus complexe. Pour avancer, il leur faut reculer ; et pour monter, descendre. Ils compriment au maximum le ressort de la vie qui est en eux jusqu’à ce que, sans rien leur expliquer de ses raisons, il les catapulte où ça lui chante. Bien sûr il existe aussi des gens qui confondent la vie avec une course en sac et vont devant eux aussi loin et aussi vite qu’ils le peuvent jusqu’à la bûche. Ainsi font les tyrans, les managers, les chauffards, les illuminés.

Jean SUR – Le marché de Résurgences 35

Et, en écho, je note dans ce sens une évocation du « lâcher-prise » par Elisabeth GODFRID:

Le paradoxe du progressiste, c’est qu’il pense beaucoup plus au passé qu’à l’avenir. Sa tension vers l’objectif à atteindre, qui réduit son champ de vision en imposant à ce prophète de disgracieuses œillères, le fixe aussi, surtout s’il est sincère, sur l’obsession d’un présent à dépasser qu’il a précisément la hantise constante de ne pas dépasser, ou pas assez. Le progressiste met ses espoirs dans un horizon qui recule toujours, mais ce maudit présent à quitter et à oublier devient un modèle négatif qui le paralyse ; en quelque sorte une paire d’œillères de secours.

La servitude volontaire

Pour le moment, je désirerais seulement qu’on me fît comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d’un Tyran seul, qui n’a de puissance que celle qu’on lui donne, qui n’a pouvoir de leur nuire, qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal, s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui, que de le contredire.

Étienne de LA BOETIE, Discours de la servitude volontaire

et en écho, la pertinence de cette note de Günther ANDERS:

Notre obéissance est d’autant plus grande que nous sommes sûrs de notre illusion de la liberté.


Je complète, un peu plus tard [septembre 2011].

Beccaria le disait admirablement, il y a fort longtemps: « Les esprits des hommes, comme les fluides, se mettent toujours au niveau des objets qui les entourent. » On mesure la réussite d’une idéologie non pas à ce qu’elle parvient à imposer aux esprits, mais à ce qu’elle n’a pas besoin de leur imposer parce qu’ils le font désormais spontanément.

Christophe CARRAUD, Une gêne, Conférence n°32, p.320