Langue d’ici

Jacques Derrida1 rapporte comment Adorno appelle à la vigilance – cette veille du veilleur infatigable – contre le narcissisme collectif d’une métaphysique de la langue.

Son plaidoyer devrait être exemplaire aujourd’hui pour tous ceux qui cherchent, dans le monde, mais en particulier dans l’Europe en construction, à définir une autre éthique ou une autre politique, une autre économie, voire une autre écologie de la langue ; comment cultiver la poéticité de l’idiome en général, son chez soi, son oikos, comment sauver la différence linguistique, qu’elle soit régionale ou nationale, comment résister à la fois à l’hégémonie internationale d’une langue de communication (pour Adorno, c’est déjà l’anglo-américain), comment s’opposer à l’utilitarisme instrumental d’une langue purement fonctionnelle et communicative sans pour autant céder au nationalisme, à l’État-nationalisme ou au souverainisme de l’État-nationaliste, sans donner ces vieilles armes rouillées à la réactivité identitaire à toute la vieille idéologie souverainiste, communautariste et différentialiste ?


Une histoire singulière a exacerbé chez moi cette loi universelle : une langue, ça n’appartient pas. Pas naturellement et par essence. D’où les fantasmes de propriété, d’appropriation et d’imposition colonationaliste.

J.Derrida, Apprendre à vivre enfin, p. 39

La vigilance du corps

L’œuvre d’art n’est pas académique, elle n’obéit à aucun dessein préconçu et n’exprime que la vénération extrême de la réceptivité ou, plus trivialement, de la vigilance extrême du corps vivant qui voit, écoute, devine, bouge, respire, chante. Les émotions de la vie ne sont au fond que des pas, confiait la grande danseuse Sylvie Guillem, je considère mon corps comme un instrument de découverte… Il faut parvenir, à chaque fois, à s’étonner, à se découvrir.

Paul VIRILIO, Ce qui arrive, p. 71